Les grèves des transports publics puis les confinements pour cause de coronavirus ont augmenté massivement le recours, quand il est possible, au télétravail. Quel est le cadre juridique du télétravail ? Quelles sont les pratiques ?
D’origine anglo-saxonne, la notion de télétravail est liée aux développements des technologies de l’information et de la communication (TIC). Les premières études débutent dans les années 1950 aux États-Unis. Dans les années 1970, le principal fournisseur de services téléphonique américain, American Telegraph Telephon, prévoit que la plupart des américains travailleront à domicile en 1990.
En France, la notion apparaît pour la première fois en 1978 dans un rapport portant sur l’informatisation de la société.
Quel cadre juridique pour le télétravail ?
En France, la définition du concept de télétravail a évolué depuis les années 1980. Au début des années 80, l’Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe (IDATE) entend le télétravail comme un « travail réalisé par une entité délocalisée, c’est-à-dire séparée de son établissement, et dont l’activité nécessite l’utilisation intensive de moyens de télécommunications ».
Dans son rapport « Le télétravail en France, situation actuelle, perspectives de développement et aspects juridiques » remis en 1993 au Premier ministre, Thierry Breton en précise la définition : « une modalité d’organisation ou d’exécution d’un travail exercé à titre habituel, par une personne physique, dans les conditions suivantes :
- d’une part, ce travail s’effectue à distance, c’est-à-dire hors des abords immédiats de l’endroit où le résultat de ce travail est attendu ; en dehors de toute possibilité physique pour le donneur d’ordre de surveiller l’exécution de la prestation par le télétravailleur ;
- d’autre part, ce travail s’effectue au moyen de l’outil informatique et/ou des outils de télécommunication, y compris au moyen de systèmes informatiques de communication à distance : des données utiles à la réalisation du travail demandé et/ou du travail réalisé ou en cours de réalisation. »
L’entrée du télétravail dans le code du travail
C’est avec la loi relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives dite « Loi Warsmann » de 2012(nouvelle fenêtre) que la notion est introduite dans le code du travail à l’article L1222-9. Selon la loi, « le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un avenant à celui-ci ». La loi énonce deux principes majeurs :
- le télétravailleur est un salarié à part entière ;
- le télétravail est basé sur le volontariat, son refus n’entraîne pas une rupture du contrat de travail.
La loi prévoit cependant qu’en cas de circonstances exceptionnelles (menace d’épidémie par exemple) ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés. Dans ces circonstances, le salarié ne peut pas refuser de télétravailler.
L’ordonnance du 22 septembre 2017, nouvelle définition du télétravail
L’ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations du travail redéfinit le télétravail et ses modalités de mise en oeuvre :
- suppression de l’expression « de façon régulière » mettant ainsi fin à la distinction entre télétravail régulier et télétravail occasionnel ;
- suppression de l’obligation d’un avenant au contrat de travail, la mise en oeuvre du télétravail peut être formalisée par un accord collectif ou par une charte rédigée par l’employeur ;
- reconnaissance comme « accident du travail » de tout accident survenu pendant les horaires de télétravail.
L’ordonnance reconnait en outre un « droit au télétravail ». L’employeur doit motiver tout refus de télétravail demandé par un salarié.
L’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020
L’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 pour une mise en œuvre réussie du télétravail a été signé par trois organisations patronales (U2P, CPME et Medef) et quatre syndicats de salariés (CFE-CGC, CFTC, FO, CFDT, refus de la CGT).
Le texte n’a pas encore été étendu (avis d’extension du 3 février 2021(nouvelle fenêtre)). Ses dispositions ne s’appliquent donc pour l’instant qu’aux entreprises membres d’une des organisations patronales signataires. Il a été négocié dans le contexte d’une crise sanitaire majeure, celle du Covid-19, qui a mis en avant les atouts de ce mode d’organisation du travail.
Le but de l’ANI est de préciser le cadre de déploiement du télétravail sans pour autant en revoir les bases juridiques. Ses principaux objectifs sont de favoriser :
- l’intégration du télétravail dans le fonctionnement de l’entreprise (cohésion sociale interne, attractivité) ;
- sa mise en place (fondements juridiques, thème de dialogue avec les salariés et/ou leurs représentants, conditions d’accès) ;
- son organisation (maintien du lien de subordination, contrôle du temps de travail, droit à la déconnexion, frais professionnels et outils numériques, accident de travail) ;
- l’accompagnement des collaborateurs et des manageurs (formation, situations particulières, égalité entre les femmes et les hommes) ;
- la préservation de la relation de travail avec le salarié (lien social, prévenir l’isolement) ;
- la continuité du dialogue social de proximité (droit syndical, représentation du personnel) ;
- sa mise en œuvre en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure.
Quelle pratique du télétravail ?
Selon le rapport au président de la République qui accompagne l’ordonnance du 22 septembre 2017(nouvelle fenêtre), « le télétravail est une aspiration de 61% des Français, parmi les jeunes générations, ou les salariés qui y trouvent une façon de mieux concilier vie privée, vie familiale et vie professionnelle. Il peut également être une réponse à des problématiques d’aménagement du territoire dans les zones rurales. Dans certains cas, les personnes en situation de handicap peuvent y trouver une opportunité pour améliorer les conditions de travail, voire s’insérer de façon plus aisée dans l’emploi ».
Les gains attendus pour les salariés sont les suivants :
- meilleure gestion du quotidien, pas de perte de temps dans les transports ;
- possibilité de vivre loin de son lieu de travail dans des logements moins chers que dans les centres villes ;
- flexibilité des horaires, plus grande autonomie dans la gestion des tâches ;
- meilleure conciliation entre vie privée et vie professionnelle.
Cependant, le télétravail peut aussi comporter des risques :
- isolement social. Les télétravailleurs échangent et communiquent moins avec leurs collègues ou leurs supérieurs que les travailleurs « en présentiel » ;
- démotivation ;
- confusion entre vie professionnelle et vie privée ;
- dépassement des horaires de travail;
Une étude de l’INSEE et de la Dares sur le télétravail des cadres(nouvelle fenêtre) montre par exemple que les cadres pratiquant le télétravail deux jours ou plus par semaine travaillent en moyenne 43,0 heures par semaine, contre 42,4 heures pour les non-télétravailleurs. Ces télétravailleurs déclarent deux fois plus souvent travailler plus de 50 heures par semaine que les non-télétravailleurs. Leurs horaires sont également plus atypiques (travail après 20 heures ou le samedi) et moins prévisibles.
Dans les statistiques officielles (établies avant les grèves de 2019 et les deux confinements de 2020), la pratique du télétravail est encore restreinte. En 2017, 3% des salariés déclarent pratiquer le télétravail au moins un jour par semaine. Parmi ces télétravailleurs, 45% le pratiquent un jour par semaine, 26% deux jours semaine et 29% trois jours par semaine.
2020-2021 : les premiers chiffres du télétravail en période de crise sanitaire
S’il est encore trop tôt pour proposer des analyses exhaustives du télétravail dans le contexte du Covid-19, la Dares a lancé dès le mois de mars 2020 une étude(nouvelle fenêtre), toujours en cours, qui suit mois par mois les indicateurs liés à l’activité et aux conditions d’emploi de la main-d’œuvre pendant la crise sanitaire. Cette étude concerne les entreprises de plus de 10 salariés des secteurs non agricoles.
Malgré la reconnaissance d’un droit au télétravail par l’ordonnance de 2017, le profil de certains postes de travail empêche la mise en oeuvre du télétravail. L’étude de la Dares « Quels sont les salariés concernés par le télétravail ? »(nouvelle fenêtre) montre que ce sont surtout les cadres qui peuvent télétravailler. En 2017, 61% des télétravailleurs sont des cadres.
Les métiers où le télétravail est le plus développé
En % des salariés
Famille professionnelle | Télétravail régulier |
---|---|
Cadres commerciaux et technico-commerciaux | 16,2% |
Ingénieurs de l’informatique | 13,9% |
Attachés commerciaux et représentants | 12,7% |
Enseignants | 12,2% |
Cadres des transports, de la logistique et navigants de l’aviation | 9,4% |
Professionnels de la communication et de l’information | 9% |
Cadres des services administratifs, comptables et financiers | 7,9% |
Techniciens de l’informatique | 7,5% |
Personnels d’études et de recherche | 7,3% |
Cadres du bâtiment et des travaux publics. | 6,9% |
Ingénieurs et cadres techniques de l’industrie | 6,5% |
Cadres de la banque et des assurances | 6,3% |
Professionnels des arts et des spectacles | 5,7% |
Employés de la banque et des assurances | 4,4% |
Techniciens et agents de maîtrise du bâtiment et des travaux publics | 4,1% |
Tableau: Vie-publique.fr / DILA Source: Dares-DGT-DGAFP, enquête Sumer 2017.
Article publié par La Rédaction de Vie-Publique. (Dernière modification : 4 février 2021)